20150501

Zenza Bronica S


J'ai jamais été un mec très speed
xXx



En photo, comme à propos de pas mal d'autres sujets, j'ai tendance à dire que c'est le résultat qui compte. Si l'image est "réussie", c'est à dire si elle correspond aux attentes d'un client, si elle interpelle un observateur - mieux, si elle le touche, ou tout simplement si elle plait à celui ou celle qui l'a prise… Peu importe la façon dont elle a été prise, peu importe l'appareil, peu importe la technique, c'est une image qui "marche". Basta. Pourtant je n'arrive pas à me départir d'un certain plaisir dès lors qu'il est question d'argent. De grain d'argent, de pellicule photo-sensible, je veux dire. Il y a là dedans une espèce de magie indescriptible qui transcende l'acte de prise de vue. Si au final ça ne change pas grand chose pour l'observateur lambda, il n'empêche que ça confère une toute autre dimension à la photographie dans son ensemble. Tout d'abord, il faut charger la pellicule dans l'appareil, geste qui n'a rien n'à voir avec enfoncer une carte mémoire dans son logement. Les mélomanes qui ne jurent que par le disque vinyle savent de quoi je parle. C'est un jeu de sensations tactiles, sonores et visuelles qui conditionne la dextérité, même s'il n'y a rien de bien compliqué là dedans. C'est quelque chose que je trouve déjà sympa sur un boîtier 24x36, mais qui devient presque excitant dès qu'il s'agit de mettre un rouleau de film 120 au dos d'un boitier tel que mon Zenza Bronica S de 1965.




Je dis "mon" mais en fait il appartient à mon père. Regardez comme il est beau. On dirait une sculpture art-déco. Il a 50 ans cette année et si j'en crois le son de l'obturateur ou encore la fermeté du mécanisme de mise au point, il est en parfait état de marche. J'avais déjà shooté un film avec, il y a quelques années mais je ne m'étais pas attardé dessus, même si les résultats semblaient prometteurs. Aujourd'hui, j'éprouve comme un besoin grandissant de faire mes photos d'une façon "mécanique", c'est à dire que j'ai envie d'impliquer le moins de technologie possible, le moins d'automatisme, le moins d'électronique… Non pas que je sois contre tout ça. C'est juste que j'ai envie d'utiliser mon cerveau, de mieux comprendre la lumière par moi même, pouvoir voir quelque chose et d'instinct le traduire en valeurs de temps de pose, d'ouverture et de sensibilité. En fait, j'ai juste envie de sentir les sensations primaires de la photographie. Après avoir shooté pas mal de pellicules avec mon petit Nikon EM (que j'adore), je  remets donc le 6x6 paternel en service, histoire de voir ce qu'il donne et surtout de manipuler un engin totalement manuel.




Le Bronica est donc un 6x6, c'est à dire que le négatif qu'on met dedans est exposé sur une fenêtre carré mesurant 6 cm de côté, au lieu des traditionnels 24 par 36 millimètres des pellicules qu'on met dans les appareils grand publique de l'ère pré-numérique. Le négatif est donc beaucoup plus grand, c'est avant tout ce qui lui permet de délivrer des images d'une qualité technique supérieure à celles des reflex, mais il est aussi plus difficile à manipuler. Il est dépourvu de crans et il faut l'enrouler sur un système de bobines situé à l'arrière de l'appareil en faisant bien attention à son emplacement. Ce Bronica permet de prendre 12 photos au format carré avec un film, autant dire qu'il vaut mieux bien choisir ses sujets et soigner ses réglages. Mais ce n'est pas tout, il est dépourvu de cellule, ce qui le rend incapable d'analyser la lumière. Il faut donc la mesurer avec un équipement séparé pour chaque photo. C'est là qu'intervient l'électronique, par le biais d'une cellule à main à l'aide de laquelle on vise le sujet et qui restitue des informations permettant de régler la vitesse et l'ouverture. C'est un peu technique, mais en pratique il n'y a rien de compliqué, simplement ça prend du temps… Et il y a mieux, l'appareil ne disposant que d'un seul miroir de visée (contre un ensemble de miroirs dans un reflex conventionnel), l'image répercutée dans le viseur est inversée (droite-gauche, mais pas haut-bas, comme quand on se regarde dans une glace). Cadrer demande donc une petite gymnastique mentale afin de manipuler l'appareil correctement. Enfin, l'objet étant très peu confortable en main, il vaut mieux le placer sur un trépied.




À l'usage, faire des photos avec ce type d'engin prend beaucoup plus de temps qu'avec un reflex ou un compact. Entre le chargement du film, les réglages du trépied pour faire le cadre, la mesure de la lumière qu'il faut souvent refaire à plusieurs reprises parce que les conditions lumineuses changent en permanence, surtout en extérieur par temps nuageux… Et vous vous retrouvez absorbé dans une échelle de temps complètement différente. C'est comme une dimension parallèle. Parcourir la nature ou les rues, trépied à l'épaule et sac en bandoulière, faire son cadre avec attention et précision, ouvrir la petite loupe au sommet du viseur pour fignoler la mise au point, anticiper les nuages pour déclencher puis s'arrêter prendre le temps de décharger un rouleau avec précaution et en embobiner un autre après seulement douze vues, c'est un peu comme se dire qu'aujourd'hui on va aller au boulot en Dauphine. C'est moins confortable, ça va beaucoup moins vite, mais ça procure tellement plus de sensations…




Pour cet appareil, je ne dispose que d'un seul "dos". Le dos est la partie où on charge le film. Un des rares avantages de ce type d'engin sur le reflex, c'est qu'on peut changer de dos sans avoir fini un film. Il suffit de placer un masque métallique entre le corps de l'appareil et le dos, puis on peut désolidariser ce dernier (le masque restant alors plaqué sur sa partie avant, empêchant ainsi la lumière d'y entrer) et le remplacer par un autre, chargé d'un film différent. C'est très pratique car, on peut à tout moment passer du noir & blanc à la couleur, d'un film 100 ISO à un 400 ISO, ou encore d'un dos muni d'une fenêtre carré à un autre muni d'une rectangulaire. Si le Bronica et les autres appareils du même type (Hasselblad et autres) sont bien moins pratiques à utiliser qu'un reflex, il restent plus souples en terme de finesse de réglage et capables de délivrer des images plus qualitatives (techniquement, hein, parce que pour ce qui est de l'aspect artistique… Eh bien c'est le photographe qui fait la photo, pas son appareil).
Pour ma part, je ne dispose donc que d'un seul dos, enfin deux, si je compte mon dos à moi, mon dos d'être humain ; mais bon, c'est autre chose, à part pour transporter le matériel et me contorsionner dans tous les sens pour faire mes photos, il n'est pas vraiment efficace dès qu'il s'agit de placer une pellicule dessus afin d'en extraire une image. Donc, le seul et unique dos dont je dispose pour équiper ce Bronica est équipé d'une fenêtre carré. Ce sera donc un seul film à la fois et toutes mes photos seront carré. Ça tombe bien, c'est un format que j'aime beaucoup et que je n'aie que trop peu l'occasion de pratiquer.




Le format carré est, à mon sens, le mieux adapté à ce type d'appareil. C'est un format qui impose une géométrie parfaite articulée autour d'un sujet clairement identifié. C'est une antithèse de la vitesse, une éloge de la lenteur, pour ne pas dire de l'immobilisme. Je suis sûr que de nombreux photographes savent l'exploiter avec talent sur des scènes d'action, mais ce n'est pas comme ça que j'ai personnellement envie de m'en servir. Non, moi j'ai envie d'utiliser le carré pour jouer avec la règle des tiers et les compositions centrées, rien que de très classique en somme. Mais je suis comme ça, j'aime utiliser l'implacable symétrie et les proportions simples de ce format pour isoler un sujet et l'imposer à l'image avec autant de simplicité que possible. Laissez moi centrer mon sujet dans une composition  carré articulée sur les lignes de tiers, et vous obtiendrez un photographe heureux. La vie de tous les jours est assez compliquée comme ça, alors de temps en temps j'aime essayer de tendre vers un maximum de simplicité, ça me permet de calmer le jeu, reposer mon esprit, que ce soit en prenant le temps de faire mes photos à l'aide d'un appareil qui ne me donne pas le choix, ou ensuite, en regardant le résultat : des images simples, peut-être complexes, mais jamais compliquées.




Mais il n'y a pas que le format qui fait ma joie, particulièrement avec cet appareil. Il y a aussi la fabuleuse dynamique lumineuse du film. C'est qu'une pellicule de qualité, exposée à la lumière sur une surface aussi grande produit une palette de nuances incroyablement riche. Là où beaucoup d'appareils numériques renoncent et délivrent des ombres plongées dans un noir insondable et des zones lumineuses d'une blancheur digne d'un nouveau document Word, le film 120 noir & blanc (pour ne parler que de celui que j'ai utilisé) se montre d'une souplesse infinie. Bien sûr beaucoup d'appareils très récents font (presque) aussi bien, mais dans leur quête de perfection, ils ont oublié la personnalité propre à chaque film. Preuve en est le succès de VSCO et Mastin Labs chez les utilisateurs de Lightroom. Là encore, les passionnés de musique comprendront. Le plus clair, le plus fin, le plus parfait des enregistrements numériques reste tristement insipide face à un bon vieux vinyle et son rendu chaleureux.




Ne vous méprenez pas, j'adore utiliser mes boîtiers numériques. je les trouve fantastiques en terme d'ergonomie, très agréables à utiliser et je ne peux que me réjouir de leur souplesse et de la grande étendue de leurs possibilités. Ils me permettent un flux de travail à la fois qualitatif et rapide et je suis heureux de les manipuler dans tout un tas de situations. Mais il reste certains petits moment de la vie où j'aime le simple fait d'aller moins vite. C'est plus en phase avec ma propre cadence interne. Et puis j'aime la magie qui opère entre l'acte de prise de vue, le fait qu'on ne puisse pas immédiatement contrôler le résultat, et le moment où on ouvre la cuve de développement en se demandant s'il y a bien quelque chose sur le film. J'aime pratiquer ce genre de photographie aujourd'hui, en 2015, tout en sachant le potentiel du numérique, parce que ma connaissance du fossé technologique qui sépare ces deux façons de faire décuple le plaisir qu'il y a à pratiquer le 6x6 argentique ET le reflex numérique. Et aussi, j'aime marier les deux entre eux, faire mes photos au Bronica, développer mon film à l'ancienne puis scanner mon négatif en le photographiant avec mon Nikon du XXIè siècle et le traiter sur mon ordinateur. C'est un procédé que pas mal de puristes réfuteront mais, à moi, il me convient parfaitement en me procurant des images qui me plaisent et m'ont donné du plaisir à chaque étape… Comme je l'ai dit plus haut, c'est le résultat qui compte.